Plusieurs essais cliniques passés ou en cours montrent un bénéfice de ces substances contre l’addiction à l’alcool, le syndrome de stress post-traumatique ou encore la dépression. Trois spécialistes livrent leur point de vue.
David Dupuis, anthropologue à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux : Après avoir été longtemps diabolisés, les psychédéliques reviennent sur le devant de la scène médicale. À partir des années 1960, ces substances ont fait l’objet d’un discours stigmatisant appuyé sur une panique morale qui a conduit à leur interdiction à l’échelle internationale en 1971 dans le cadre d’une convention rédigée sous l’égide des Nations unies. Cette décision a mis un coup d’arrêt à la recherche, mais leur usage a toutefois continué à se diffuser, notamment dans les milieux hippies puis ceux de la musique électronique. Ces pratiques, devenues illégales, ont dès lors été associées à la toxicomanie, même si les psychédéliques sont connus pour être dénués de propriétés addictives.
Au cours des années 90, les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Suisse ont repris les recherches cliniques sur ces substances dans différentes indications. Les résultats obtenus, très encourageants, modifient rapidement le regard des professionnels de santé comme on peut l’observer dans les congrès français de psychiatrie qui dédient désormais de nombreuses interventions aux psychédéliques. Alors que nombre d’observateurs estiment que ces substances constituent la prochaine génération de traitements en santé mentale, la France s’attache désormais à rattraper son retard en débutant des essais cliniques dédiés. Un véritable intérêt est en train d’émerger en raison des besoins importants de nouveaux traitements psychiatriques, même si les défis politiques, économiques, éthiques et cliniques de la médicalisation des psychédéliques restent nombreux.
Alain Gardier est professeur de pharmacologie à l’université Paris-Saclay et codirecteur de l’équipe Moods : Il y a un retour en force de la recherche sur les effets potentiellement thérapeutiques des psychédéliques dans les troubles dépressifs caractérisés. Après la mise en évidence entre 2000 et 2010 de l’effet antidépresseur de la kétamine déjà utilisée en anesthésie et en analgésie, des travaux récents ont souligné l’efficacité antidépressive rapide de la psilocybine. Cependant, son utilisation en clinique doit passer par une meilleure compréhension de son mécanisme d’action porté par l’activation d’un des récepteurs de la sérotonine. Les hallucinations et distorsions du réel favorisent-elles l’effet thérapeutique ou sont-elles au contraire gênantes ? Quel est l’effet sur les connexions neuronales et entre régions cérébrales ? La réponse à ces questions précisera le mode d’administration chez les patients résistants aux antidépresseurs conventionnels.
En attendant, l’induction d’effets de type paranoïa, euphorie, ou anxiété, une à quatre heures après l’administration, nécessite de prendre ce traitement dans un cadre non anxiogène avec un accompagnement psychothérapeutique systématique pour les canaliser. Cela nécessitera une organisation particulière des services hospitaliers et la formation des soignants qui pourraient freiner leur utilisation en routine. En outre, il ne s’agit pas de produits miracles. On s’attend à ce que les psychédéliques ne soulagent qu’une fraction de patients déprimés. Il va falloir identifier les sous-groupes de malades éligibles, peut-être en fonction de comorbidités : dépression plus anxiété ou obésité, neuro-inflammation ou cancer… Enfin, il y a d’autres pistes intéressantes pour la dépression résistante : la stimulation du nerf vague ou encore la stimulation cérébrale profonde ou magnétique transcrânienne pour lesquelles les hôpitaux sont en train de s’équiper.
Lucie Berkovitch est psychiatre et chercheuse en neurosciences à l’hôpital Sainte-Anne, rattachée à l’unité Neuroimagerie cognitive : Les recherches sur les psychédéliques s’accélèrent depuis une quinzaine d’années. Et ces travaux sont désormais contrôlés, comparant la molécule active à un placebo ou différentes doses de produit entre elles, toujours en association avec une psychothérapie. Ils concernent aujourd’hui essentiellement la psilocybine avec une première étude dans la dépression datant de 2016 qui a montré une efficacité immédiate chez une majorité de patients. Cette amélioration survient dès la première prise et persiste généralement pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Certains patients semblent même entrer durablement en rémission avec les quelques années de recul dont on dispose. Cela contraste avec les antidépresseurs classiques dont le délai d’action est de quatre à six semaines et qu’il faut prendre tous les jours pour qu’ils soient efficaces. Finalement, d’après l’ensemble des données disponibles sur la psilocybine, on observe une disparition des symptômes chez 30 à 70 % des sujets en dépression, notamment résistante, ce qui est considérable dans cette population.
Toutefois, ces résultats doivent être confirmés par des études à plus grande échelle et comparés aux alternatives thérapeutiques comme les antidépresseurs classiques ou la stimulation cérébrale par exemple. Nous travaillons activement à la mise en place d’études dans la dépression à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, mais ce n’est pas simple ! Nous espérons que les essais pourront démarrer dans les mois à venir. Et il est probable que dans quelques années, ces molécules feront partie des options thérapeutiques proposées à l’hôpital.
Source : INSERM