Retour sur les mesures jugées trop légères dans la proposition de refonte de la législation pharmaceutique.
Dans sa proposition de refonte de la législation pharmaceutique communautaire, la Commission européenne renforce les missions de l’EMA et impose de nouvelles obligations de signalement et d’anticipation aux industriels pour lutter contre les pénuries de médicaments. Des mesures jugées toutefois trop légères par de nombreux acteurs, pointant notamment l’absence d’action en faveur d’un rapatriement de la production sur le territoire européen.
Le problème des pénuries de médicaments, ancien mais exacerbé par la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique, est reconnu comme une menace croissance pour la santé publique par les autorités européennes.
Les instances communautaires ont déjà engagé plusieurs mesures. Par ailleurs, le groupe de travail de l’EMA et de l’HMA a publié en février 2023 des recommandations à l’intention des industriels pour prévenir et atténuer les pénuries de médicaments.
La proposition de refonte de la législation pharmaceutique européenne, présentée le 26 avril dernier par la Commission, vient compléter ces mesures en précisant, dans le chapitre X de son projet de règlement, les rôles, missions et obligations des différents acteurs – l’EMA, le MSSG, la Commission européenne, les Etats membres, les titulaires d’AMM de médicaments ou encore des grossistes répartiteurs – pour renforcer la sécurité de l’approvisionnent, prévenir, limiter et gérer les pénuries systémiques.
Le partage de l’information en est la clé de voûte, avec une harmonisation des procédures de signalement. Le texte impose des obligations plus strictes aux titulaires d’AMM de médicaments, tenus de notifier le plus tôt possible les retraits et les cessations définitives (au moins 12 mois à l’avance) et les suspensions temporaires (au moins six mois) de mise à disposition de leur produit dans un ou plusieurs Etats membres, aux autorités compétentes de ces Etats et à l’EMA en cas d’AMM centralisée. Les industriels sont aussi tenus d’établir et de tenir à jour un plan de prévention des pénuries pour tout médicament disposant d’une AMM sur le marché européen. Ce plan devra comporter des informations sur le produit et des mesures de prévention des pénuries et d’évaluation des risques liés à la chaîne d’approvisionnement. Cette mesure était réclamée par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC). De son côté, l’EFPIA appelle à des clarifications. Selon sa présidente de l’EFPIA Nathalie Moll, il n’est « ni réaliste ni nécessaire de réaliser des plans de prévention des pénuries pour la totalité des médicaments ».
Le texte confie un rôle central de coordination au MSSG et l’EMA. Les deux acteurs devront identifier les médicaments pour lesquels la survenue de pénuries ne pourrait être résolue sans une coordination au niveau de l’UE. Le MSSG sera chargé d’établir une liste de ces « pénuries critiques » de médicaments, dont le suivi sera assuré par l’EMA. Le groupe de pilotage pourra formuler des recommandations aux titulaires d’AMM mais aussi aux Etats membres, à la Commission européenne et aux autres parties prenantes, sur les mesures à prendre pour résoudre les pénuries critiques ou assurer la sécurité de l’approvisionnement en médicaments essentiels.
L’établissement d’une liste européenne de ces « médicaments essentiels » par le MSSG est certainement l’une des mesures phares de ce projet de règlement. Elle devrait d’ailleurs être mise en œuvre avant même son adoption, puisqu’une première liste est attendue dès la fin 2023. En pratique, après consultation des autres parties prenantes, l’EMA doit développer une méthodologie commune pour identifier les médicaments essentiels, en tenant compte notamment de l’évaluation des vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement. S’appuyant sur cette méthodologie, les Etats membres devront établir et fournir à l’EMA leur propre liste de médicaments critiques – la France a d’ores et déjà publié la sienne (voir notre article sur ce sujet). Il reviendra ensuite au MSSG d’établir une liste commune, qui devra être acceptée par la Commission européenne.
Le sujet de la constitution de stocks de sécurité (de médicaments finis ou de principes actifs), est en revanche à peine évoqué par le projet de règlement, et seulement comme l’une des « mesures pertinentes » pouvant figurer dans une loi d’application que la Commission pourrait décider d’adopter. « Les obligations de stockage qui existent en France depuis plusieurs années n’ont pas été un remède miracle, observe Isabelle Marchais, chercheuse associée à l’Institut Jacques Delors. Une solution passerait peut-être par un stockage européen de produits semi-finis… en veillant à ce que le coût de ce stockage ne soit pas répercuté sur le consommateur. »
Au final, la proposition de la Commission européenne crée tout de même « tout un corps de règles concernant la prévention des pénuries, qui n’existait pas auparavant. Celui-ci s’inspire un peu du modèle français tout en allant au-delà », estime Anne-Catherine Perroy, avocate chez Simmons&Simmons.
Source : Pharmaceutiques